mercredi 18 avril 2012

Lettre ouverte : Que se passe-t-il dans le cinéma, et dans la création en générale ?

Constat : Un nombre considérable d’œuvres dites-réalistes nous ai parvenu.
Nous entendons par réalistes les drames sociaux, soit-disant intimistes, où dans une morne apologie du quotidien on s’apitoie, où l'on se morfond et où l'on plonge, souvent avec indécence, dans la souffrance et la douleur, comme pour donner de la profondeur à son propos.
Les suicides, les morts, les dépressions adolescentes, les orphelins, les séparations douloureuses, les déchirements, la violence conjugale, les maltraitances et autres maux, la victimisation sous toutes ses formes...

(Rares sont les créateurs capables de s'emparer d'une émotion ou d'une situation, qui plus est dure ou grave, et qui réussissent à la faire sortir du pathos personnel et nombriliste pour la porter aux limites de l'universel, pour que le spectateur ne soit pas seulement le voyeur d'une situation extérieure, B.A. BA du cinéma, mais bien acteur émotionnellement de cette projection dans laquelle il a une place.)

Je tiens à préciser que je ne mets pas tous les réalisateurs qui nous ont envoyé leurs créations dans le même panier, car des films assez différents nous sont parvenus.
Mais la proportionnelle de ce type d’œuvres était quand même de 75%, autrement dit plus des 3/4.

Après un tour des festivals en France, nous pouvons affirmer que ce nombre est applicable à presque l'ensemble de la création audiovisuelle (en tout cas celle produite et programmée).

« Au temps d’Homère, l’humanité s’offrait en spectacle aux dieux de l’Olympe ; c’est à elle-même, aujourd’hui, qu’elle s’offre en spectacle. Elle s’est suffisamment aliénée à elle-même pour être capable de vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de tout premier ordre. »
W. Benjamin, L’œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, 1935

Que se passe-t-il dans le cinéma ? Ou même dans la création en générale ?

Le rôle de l'artiste est-il vraiment de faire juste un constat des problèmes sociaux ?
En tant que spectateur, n'aurait-on pas droit, au minimum, à une petite proposition de solution pour tenter d'améliorer les choses ?

Et bien, personnellement, je crois que si. Je pense que c'est la moindre des choses.

Si l’œuvre ne fait que constater, objectivement ou subjectivement, sans la moindre once de solution, cela s'appelle du journalisme.
L'artiste, c'est celui qui va tenter de proposer une solution, aussi imaginaire, farfelue, utopique, dangereuse (mais responsable), absurde, irréalisable, ou caduque soit-elle.

Et même si l'artiste n'a pas de solution, il s'évertue à proposer une exploration des zones et contrées oubliées ou négligées de nos esprits et de nos vies. Aller à la rencontre l'Alter, et faire en sorte de se reconnaître en lui et ainsi, espérons-le, provoquer l'expansion de l'individu.

L'artiste, c'est celui qui vit dans l'entre-deux.
Le statut d'artiste est étroitement lié, et ce depuis le début de l'humanité, à celui du magicien, du griot, du shaman, du médecin (preuve : le caducée d’Hermès le psychopompe).
L'artiste vit dans l'interstice, dans l'entre-deux où se fondent le réel et l'imaginaire, ou plus précisément le matériel et l'immatériel.

« Il est temps, nous continuons avec véhémence à l'affirmer, plus que jamais il est temps pour l'esprit de réviser certaines oppositions de termes purement formelles, telles que l'opposition de l'acte à la parole, du rêve à la réalité, du présent au passé et à l'avenir. Le bien-fondé de ces distinctions, dans les conditions déplorables d'existence en Europe, au début du XXe siècle, même du point de vue pratique, ne se défend plus un seul instant. Pourquoi ne pas mobiliser toutes les puissances de l'imagination pour y remédier ? »
A. Breton, Légitime Défense, 1926

« Tout porte à croire qu'il existe un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement. »
A. Breton, Second Manifeste, 1930

De par ses voyages dans ses contrées malléables de l'esprit, l’artiste revient avec une ex-périence de l'ex-istence, un savoir (ça-voir), une intuition, une intention (qui n'ai rien d'autre que le travail de la volonté qui réfléchit et passe à l'acte), qu'il va trans-mettre aux autres.

Une œuvre est cette petite proposition d'ex-cursion hors-de-soi (ex-stase), pour tenter de voir et de comprendre ses propres limites, aller juste un peu plus loin, faire tomber les barrières, et peut-être ainsi s'améliorer et vivre mieux.

L’Art est la face tangible et appréhendable de nos croyances que nous avons réussi à rendre réelle.

Artistes, poètes, magiciens se détournent des horreurs du monde pour scruter les étoiles, patients dans l’azur, et tenter de proposer aux hommes un monde meilleur.

Les polarités du monde se sont inversées : le réel empiète sur l’art, menotte l’imaginaire et le contraint, alors que c’est l’imaginaire qui devrait déborder sur le réel et le contaminer, pour que nous puissions enfin faire de nos vies ce que nous en rêvons.
Les artistes dressent une carte utopique d’un monde qu’on ne peut bâtir, qui n’existera probablement jamais, mais que l’on peut laisser croître sans fin dans nos imaginations. Et cette carte peut aider les êtres
avides de liberté à trouver leur chemin.

Faire de l’art n’est rien d’autre que cela : non pas une évasion hors de la réalité, mais une tentative pour changer le réel.
Ainsi l’artiste peut s’évader des limites de ce dit-réel et faire appel à d’autres termes que ceux de la rationalité causale.

L'enfer est cette condition dans laquelle n'existe aucune alternative.

« Nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir en fait de l’enfer. »
A. Artaud, Van Gogh ou le suicidé de la société

L’image de la chose, la perception de la chose, n’a jamais été la chose elle-même, dans son essence.
La carte n’est pas le territoire, même si elle s’en approche et peut s’avérer utile. Nous vivons dans un monde où les territoires et les choses changent constamment.

Le créateur se doit d'avancer dans son travail par une juste compréhension de la nature des choses, en appliquant le savoir-faire correct à la situation adéquate.

Le tournage (Solve) est un processus analytique. Découper, capter, capturer les détails (le plus petit des morceaux est encore un tout, le plus grand des ensembles est encore un détail). Disséquer, morceler, dissoudre le réel en isoler les éléments pour comprendre (con-prendre : prendre avec soi).
Le montage (Coagula) est un processus synthétique. Constituer un ensemble qui sera supérieur à la somme de ses parties. Réunir les éléments, rapprocher, assembler les plans pour créer une vision particulière dans un agencement précis qui permettra d’aller chercher au fond de l’esprit les possibilités oubliées et les reconnaître (re-co-naître : voir le jour à nouveau avec).

L’Art est cette science de faire advenir des choses selon ses propres désirs afin d’optimiser le contrôle de son existence et de son environnement immédiat, en vue de créer un univers des plus favorables.

Tout le reste n'est que mal-et-diction.

Un canon ne tire qu'une fois, alors qu'un mot ou une image résonne pendant des siècles.

Nous espérons sincèrement que ces propos seront entendus et compris, et ne seront pas lus de travers ou mal interprétés.

Nous tentons en toute sincérité de faire en sorte que le monde aille mieux.
Mais nous refusons de voir continuer à exister une version du monde où il serait plus facile de se concentrer sur le cri que sur la blessure, un monde où l'on focalise sur les symptômes et non sur le mal. Un monde où l'on préfère se soigner que guérir.

« Il n’y a pas de devenir, pas de révolution, pas de lutte, pas de chemin tout tracé : déjà tu es monarque et règnes sur ta propre peau - ton inviolable liberté n’attend pour être complète que l’amour d’autres monarques : une politique du rêve, aussi urgente que le bleu du ciel. »
Hakim Bey, L’art du chaos


Vincent CAPES, au nom de l'équipe du Festival COURT-BOUILLON

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